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Culture & Histoire


Être corsaire au Pays basque


« Nid de vipères » : c’est ainsi que les Anglais qualifiaient le Golfe de Gascogne et notamment les ports de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz d’où partaient les expéditions corsaires basques. Ce surnom valait bien les « nids de frelons » de Dieppe, de Dunkerque, ou de Saint-Malo qui ont forgé le mythe du corsaire.

À l’origine, le mot « corsaire » désigne le navire armé pour la guerre de Course. Activité « légale », la « course » est à distinguer de la piraterie, basse œuvre d’individus se procurant du butin par le pillage et agissant pour leur propre compte. Le corsaire, lui, combat pour son roi ! En cela la course supplée à la Royale, marine de haut bord, devenue inexistante à la suite de défaites.

Quiconque ne peut s’improviser corsaire. Il faut obtenir une autorisation, dite « lettre de marque » délivrée par l’Amirauté et pour laquelle le commanditaire paiera une forte caution. Il faut également disposer d’un gros capital pour armer les baleiniers et autres bateaux de pêche transformés pour l’occasion, acheter les provisions de bouche et recruter les marins.

Pour la seule année 1757, pic de l’activité corsaire basque, Bayonne mis en course 31 navires équipés de 5125 hommes et de 460 canons. Saint-Jean-de-Luz, sa voisine, mit en ligne 22 unités dotées de 117 canons et défendus par 1800 marins.

Pour financer ces entreprises couteuses mais ô combien lucratives, des sociétés par actions étaient créées. Au retour de l’expédition, les actionnaires étaient rétribués en fonction des parts souscrites. Le Roi ou l’État, quant à lui, fournissait les canons (jusqu’à 20 pour les plus grosses unités). Si l’on recrutait les capitaines dans les ports de la côte basque et dans l’arrière-pays, la zone de recrutement de l’équipage était beaucoup plus étendue : le pays basque, bien sûr, mais aussi Bordeaux, Angoulême, Mende, l’Ile de France, l’Espagne. Un bateau de 400 tonneaux pouvait emporter 400 hommes, marins et soldats confondus. Cet entassement engendrait une inévitable promiscuité. Mais l’appât du gain primait sur les états d’âme.

Car la course n’est pas simplement un acte de guerre. C’est aussi un acte commercial. Il s’agit de récupérer le navire ennemi, de s’emparer de sa cargaison et de faire prisonnier le plus nombre possible de matelots, « marchandises » d’échange contre les marins français qui croupissaient sur les pontons anglais.

La technique d’assaut la plus efficace était le matelotage, abordage au moyen de 2 bateaux. Victimes privilégiées, les galions espagnols et portugais qui, d’Amérique de Sud ou d’Afrique, rentraient au pays, les cales remplies d’or. Au retour de l’expédition, la cargaison était vendue et le produit partagé entre le bureau de l’Inscription Maritime, l’Amiral de France, le Roi, l’Armateur et l’équipage.

Le traité de mars 1856 met fin à la guerre de course.

Il reste aujourd’hui la mémoire de ces illustres corsaires basque, tels Renau d’Elissagaray, ou d’Albarade, devenu ministre de la Marine en 1794 qui ont contribué à écrire l’histoire maritime de la France.

(1997 – par La Poste à l’occasion de l’édition d’un document philatélique)



Corsaires luziens

(Par le Docteur Georges PIALLOUX)


Pour ce Pays de labourd, situé aux marches de l’Espagne, l’Aventure est toujours venue de la mer. Les richesses et les nourritures étaient étroitement liées à la pêche et c’est sur l’eau que s’est inscrite l’histoire, tour à tour commerciale et guerrière, de ces ports basques de Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye.

La baleine, commune dans le golfe de Biscaye, animal fabuleux s’il en fût, figure dans les armes de ces villes. Hardis marins sur les petits esquifs, il leur fallut suivre les migrations de ces monstres, ce qui les a amenés à explorer les côtes du Groenland, du Canada, de Terre Neuve.

Bien avant « l’invention » du Nouveau Monde par Christophe Colomb, les indiens parlaient le Basque, les ports et les criques de  l’île de « Bacaiao » portaient des noms de chez nous, pendant que les cimetières se couvraient de discoïdales. C’est ainsi que l’exploitation des bancs de morues resta longtemps l’apanage des marins de l’Eskual Herria, source de richesses dans ce Moyen-Âge où l’Europe connaissait 150 jours de maigre par an.

Pour armer à la baleine et à la morue, depuis le Xème siècle, Saint-Jean-de-Luz et Bayonne montèrent de toutes pièces une flotte importante aux mains de quelques armateurs : Haranader, Jalday, Labrouche, etc… Il était même possible à des négociants de prendre des parts devant notaire sur les bateaux en armement. Il fut tout naturel, aux périodes critiques de notre histoire de convertir ces capitaines en corsaires aussi habiles à l’abordage des vaisseaux ennemis qu’à la chasse aux cétacés.

Henri III, puis Henri IV accordèrent les premières « lettres de marque » à Haristague, De Soumian, d’Ansorgario et Jean d’Arretche. En 1556, Saint-Jean-de-Luz équipa 6 gros vaisseaux pour mettre fin aux incursions espagnoles dans les ports français.

Au XVIIème siècle s’illustrèrent Duconte, Cépé, Dolabarats, Michel le Basque, Suhigaraychipi, dit Coursic. En 1627, les pinasses basques servent à ravitailler l’île de Ré durant le siège de La Rochelle en forçant le blocus de la flotte anglaise. En 1638, ils s’illustrèrent dans le blocus de Fontarabie et à la bataille de Getaria où, sous les ordres du Cardinal de Sourdis, la flotte espagnole fut envoyée par le fond. En 1690, les nombre des prises ennemies dans le port de Saint-Jean-de-Luz était tel que le Duc de Gramont écrivait à Louis XIV (venu s’y marier en 1660) : « Sa Majesté pourrait aller de Saint-Jean-de-Luz à Ciboure sans se mouiller les pieds en empruntant les ponts des bateaux pris à l’ennemi ».

A cette même période, il ne faut pas manquer de signaler Renau d’Elissagaray, dit « Petit Renaud », né à Armendaritz, réformateur de la marine royale et corsaire à ses heures. Ami de Colbert et protégé du Roi Soleil il inventa la Galiote à bombes pour le bombardement du port d’Alger en 1681 et l’attaque de Gènes en 1684. Ingénieur de la marine, il fit construire le « Soleil Royal », vaisseau de premier rang de plus de 4000 tonneaux, sauva une partie de la flotte du désastre de la Hougue. Disciple de Vauban, il fortifia la Bretagne, Cadix, défendit Gibraltar sans succès et sauva une partie de l’or des galions de Vigo. On lui doit l’école supérieure de la Marine de Brest.

Au cours du XVIIème siècle, nombreuses furent les occasions de guerres de course : la guerre de 7 ans, sous Louis XV, la guerre de l’indépendance américaine sous Louis XVI, celle de la révolution et de l’Empire, les ports de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz armaient 45 corsaires totalisant 550 canons et servis par plus de 7000 hommes. La vogue était aux navires de faible tonnage, ardents, bon manœuvriers où l’on comptait plus sur l’équipage que sur l’armement, et attaquant en meute. Le plus important fut la « Marquise de La Fayette » armé par les Dames de la Cour, portant 30 canons, 12 pierriers, et 348 hommes d’équipage.

Les hauts faits d’armes de nos marins sont signés : Larreguy, d’Etchegaray, Dolarabats, Etchebaster, Dargaignaratz, Garat, pour ne signaler que les principaux. Joignant un sens pratique aux qualités guerrières, d’une expédition aux Molluques, D’Etchevery rapporte les plans de girofliers et de muscadiers. Lors d’un séjour aux Antilles, Duier fait un précieux travail de relevé des côtes et il est le premier à explorer très profondément le fleuve Amazone. Revenu au pays, il fut promoteur d’un renouveau de la grande pêche. Certains sont passés à la postérité par des faits d’armes, tel Soustra, grâce à son combat de la « Bayonnaise » contre le vaisseau anglais « l’Embuscade ». Quant à Dalbarade, il fut tour à tour corsaire, Contre-Amiral, et Ministre de la Marine sous la Terreur.

Le dernier en date fut Etienne Pelot, l’enfant terrible de la marine ; actes de bravoure, facéties, évasion de geôles anglaises se partagent sa légende (qu’il sur exploiter). Il mourut l’année même de l’abolition de la course au Traité de Paris en 1856. Avec lui disparaît le dernier des Corsaires basques, plusieurs générations de pêcheurs et de guerriers qui ont contribué au cours des siècles à faire de ce fond de golfe un « nid de vipères » selon l’expression même de nos adversaires.